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EXCISION : le combat de Binta.

Pour préserver l’anonymat de notre invitée, son prénom a été modifié et choisi par ses soins.

Ma soirée de Saint-Valentin, c’est en tête à tête avec Binta que je l’ai passée. Ce samedi pluvieux, c’est dans sa petite chambre du 4ème et dernier étage d’un immeuble du Val de marne, que la jeune femme originaire de Guinée-Conakry m’a chaleureusement reçue.

Derrière la porte de la chambre 424 je distingue le son du micro-ondes et le rire de Thierry Ardisson à la télé. Je toque et sens que l’on m’observe à travers le judas. La porte de l’appartement s’entrouvre et c’est un petit bout de femme tout sourire qui m’embrasse affectueusement et m’invite aussitôt à prendre mes aises dans ce petit espace qui est le sien.

Binta ne me connaît pas, mais m’accueille chez elle comme elle accueillerait un membre de sa famille. « Je décongèle de la viande pour préparer du mafé. Tu vas rester dîner avec moi n’est ce pas ? »

Autour d’un apéro qui n’a rien à envier aux soirées entre copines, Binta, les yeux pleins d’étoiles, vêtue d’un pagne africain traditionnel, s’installe sur son lit les jambes en tailleur et attend sereinement que le bal des questions débute.


Bonjour Binta, qui êtes-vous ?

Bonjour, je m’appelle Binta, j’ai 21 ans, je suis originaire de Guinée-Conakry en Afrique de l’Ouest et je vis à Paris depuis trois ans.

Si je vous rencontre aujourd’hui c’est pour que vous nous parliez de ce fléau qu’est l’excision. Vous avez vous-même été victime de cette pratique dans votre pays et menez aujourd’hui votre combat de femmes pour tenter de lutter contre ces actes barbares.

Tout à fait. Mes parents ne souhaitaient pas m’exciser, mais à l’âge de 12 ans, les moqueries de mes camarades de classe et même de mes cousines me pesaient trop. Tout le monde m’appelait « Solidio » (traînée, putain), personne ne voulait s’assoir à côté de moi et encore moins manger dans mon assiette !

Lorsque ma famille m’a enfin annoncé que j’allais me faire exciser, c’était le plus beau jour de ma vie. J’allais enfin pouvoir être acceptée par les élèves de l’école.

Lorsque ce jour tant attendu arriva, j’étais vraiment heureuse du tournant qu’allait enfin prendre ma vie. Une fois arrivée chez l’exciseuse du village, sa lame de couteau et l’absence d’anesthésie m’a laissé malgré tout un goût amer…

Suite à cette intervention, j’ai eu quelques complications qui, Dieu merci, n’ont pas été trop graves mais qui nécessitaient malgré tout une vigilance extrême surtout en termes d’hygiène.


EXCISION
nom féminin

Ablation rituelle du clitoris et parfois des petites lèvres, pratiquée chez certains peuples.


Pourquoi certaines ethnies pratiquent encore l’excision et quelle est la symbolique de cet acte ?

A la base, l’excision a pour but d’empêcher les filles d’avoir des relations sexuelles avant le mariage. L’excision permet en effet de préserver leur virginité jusqu’au mariage. Peu importe l’âge auquel l’excision est pratiquée, ce rituel marque aussi la transition de l’enfance vers l’âge adulte. C’est pour cela que certaines filles sont mariées de force très jeune puisqu’après l’excision, elles sont considérées comme des femmes à part entière.

Comment les femmes vivent-elles cette pratique ?

Chez moi en Guinée, presque toutes les ethnies pratiquent l’excision depuis toujours. Nos mères et grand-mères sont excisées, c’est la coutume. Nous n’avons pas peur de l’excision et n’avons de toute façon pas tellement le choix. C’est lorsque j’ai découvert la culture européenne et que j’ai rencontré des femmes libérées que j’ai réalisé qu’il y avait un problème en Afrique. Avant, c’était normal pour moi. L’excision d’une femme est un jour sacré en Afrique. On fait la fête, on mange, on danse.

Vous aussi avez été mariée de force. Comment s’est déroulé ce mariage ?

Un soir en rentrant de l’école, je réalise qu’il y a beaucoup de monde chez moi et demande aux voisins ce qu’il se passe. On me répond alors à ma grande surprise qu’une des filles de la famille se marie. A peine arrivée chez moi, on m’annonce que c’est le jour de mon mariage et que je dois me dépêcher d’aller faire mes ablutions pour la cérémonie. Je n’ai à ce moment là que 14 ans et n’envisageait pas une seule seconde de me marier. La seule chose qui m’importait c’était l’école. J’étais une très bonne élève et voulais poursuivre mes études le plus loin possible.

Ce jour là, comme le veut la tradition, seules les femmes étaient présentes. Il était hors de question pour moi de me marier avec un inconnu et j’ai tenté de m’enfuir. Mes tantes m’ont enfermée dans la chambre pour me forcer à prononcer les paroles saintes qui officialiseraient mon mariage avec cet inconnu de 45 ans qui avait déjà plusieurs femmes. Sous les coups qui pleuvaient, j’ai fini par céder…

Le soir même, les tantes de cet homme sont venues me chercher pour m’emmener chez mon « mari », à près de 500km de ma famille. Elles m’ont installée dans sa chambre, je me suis assise par terre dans un coin. Je ne réalisais pas du tout ce qu’il était en train de se passer.

L’homme est arrivé pour « officialiser » le mariage. Il a voulu avoir des rapports sexuels avec moi. Je me débattais. J’étais très jeune et j’avais très peur. Les tantes de l’homme sont finalement entrées dans la chambre pour m’attacher au lit afin qu’il me viole.

S’en est suivi une très grande fête.

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© All around the Girl

Comment vous êtes-vous sortie de cet enfer ?

Je suis tombée enceinte presque immédiatement et ma fille est devenue ce que j’avais de plus cher. Celle pour qui j’ai eu envie de me battre chaque jour.

J’ai tenté à plusieurs reprises de m’enfuir avec mon bébé, mais mon « mari » finissait toujours par nous retrouver. Je porte encore les cicatrices de ses coups de couteau. Il me tétanisait mais je devais partir à tout prix.

Un matin, alors que je devais me rendre au marché, j’ai pris ma fille et je suis partie chez le frère de ma mère en lui demandant de l’aide. Je devais partir loin et vite, sinon cette fois-ci il me tuerait.

Avec l’aide de mon oncle et celle de proches, j’ai réussi à quitter le pays pour me rendre en France, sans ma fille qui est restée avec ma sœur.

Comment s’est déroulée votre arrivée en France ?

Le jour du voyage, j’étais heureuse que ce calvaire prenne fin mais j’étais très triste de laisser ma fille en Guinée. Le combat continuait mais différemment…

Je suis donc arrivée à Paris en plein hiver avec 100€ en poche. C’est à l’aéroport d’Orly que je suis tombée par chance sur une femme qui parlait mon dialecte. Je lui ai dit que je ne connaissais personne ici et que j’avais besoin d’aide. Elle m’a invitée à passer une nuit chez elle puis j’ai ensuite du entrer dans la spirale infernale du 115.

Chaque jour à 17h, je devais appeler ce numéro d’urgences afin de connaître les places disponibles pour ne pas passer la nuit dehors. Le 115 reçoit énormément de demandes quotidiennes. Parfois on dort au chaud dans un gymnase, parfois on dort dehors ou dans le métro. On ne gagne pas à tous les coups.

Cette situation a duré 6 mois jusqu’à ce que je trouve une place dans un hôtel social. Je partageais ma chambre avec une malienne. Avoir le même lit chaque soir était un grand pas pour moi.

Vous avez ensuite eu recours à la chirurgie réparatrice et vous avez revécu une situation qui vous a ramené à votre jeunesse.

Oui. Le jour où je suis rentrée à l’hôtel après ma chirurgie réparatrice, ma colocataire originaire du Mali m’a traitée de tous les noms. Elle ne comprenait pas pourquoi j’avais souhaité récupérer ma féminité. Je n’était qu’une putain à ses yeux.

Ma colocataire a demandé à changer de chambre. Elle ne voulait pas dormir dans la même pièce qu’une trainée. Cette impression de déjà vu m’a un peu touché, mais au fond ça m’était bien égal. Cette démarche je l’ai faite pour moi, pas pour les autres.

Et aujourd’hui alors ?

Aujourd’hui je suis vraiment très heureuse. Je vis dans le Val de Marne dans une petite chambre rien qu’à moi. J’ai suivi une formation d’assistante maternelle et travaille aujourd’hui pour une famille adorable. Je m’occupe d’une petite fille trisomique que j’adore.

Je suis également au cœur d’une grande procédure pour pouvoir faire venir ma fille ici. Elle fêtera ses 7 ans au mois de juin et mon souhait le plus cher serait qu’on puisse le passer ensemble.

Depuis un an, je suis également vice présidente de l’association SOS africaines en danger. Dans cette association nous luttons contre l’excision et le mariage forcé.

Nous accueillons les femmes africaines pour différents besoins, qu’il s’agisse d’aide psychologique ou de mise en relations avec les chirurgiens réparateurs.

Êtes-vous optimiste quant à l’abolition de l’excision ?

Oui, je suis vraiment très optimiste. Je constate déjà que les mentalités ont changées. Dans les villes africaines, de moins en moins de femmes se font exciser. Il faut agir dans les campagnes en priorité. Là où les coutumes sont trop bien ancrées.

Les occidentaux se demandent souvent comment nous aider mais ce combat c’est à nous, femmes africaines, de le mener. Les africains n’accepteraient pas que « des blancs » se permettent de leur donner des leçons.

C’est un peu comme si j’allais dans une famille française pour leur dire d’arrêter de manger du camembert et de boire du vin ! (Rires)

Bravo pour votre courage et pour votre combat exemplaire. Merci Binta.

Merci à toi de m’avoir écoutée et à tes lectrices de m’avoir lue.


Pour aller plus loin : excisionparlonsen.org


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